Devenir ange gardien du littoral
Entre navigateur timonier, manœuvrier et guetteur, les Officiers mariniers sont nombreux à choisir les deux premières options. Ça n’a pourtant pas été le cas pour le Major Alan. Lui s’est tourné vers la spécialité de guetteur sémaphorique, gardien des côtes et de la sécurité de tous les navires qui naviguent sur nos eaux territoriales.
Une rencontre fortuite
Alors qu’il travaillait dans la restauration à Paris, c’est lors de son service militaire que le major Alan a découvert sa voie. « Ça a été une rencontre un peu fortuite avec la Marine. A l’époque, il y avait encore le service militaire que je repoussais mais à un moment il a fallu y aller ! » Lorsqu’il a fallu procéder aux choix de spécialités d’appelés, on lui a proposé guetteur. Et ce qu’il y a trouvé lui a donné envie de s’engager. « Avant la fin de mon service militaire, j’étais déjà dans le processus d’engagement ».
Débuté en CROSS (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage), son service militaire a été décisif dans son choix de carrière. Jeune appelé, il a été séduit par le sentiment d’utilité qu’apportait la fonction de guetteur mais également son côté opérationnel. « On peut trouver une certaine adrénaline dans ce travail, il y a une partie veille où on attend bien sûr, mais quand il se passe quelque chose il faut réagir rapidement ». Son premier poste a été opérateur de surveillance des pêches, pas très opérationnel vous direz vous et pourtant… « Lors d’un week-end je me suis retrouvé en communication téléphonique avec le cadre de permanence du ministère des pêches britanniques, le vice-ministre qui était de permanence ce week-end-là au sujet d’un bateau français qui était accusé de ne pas être en règle dans les eaux britanniques ». Seul au service à cet instant-là, il a dû gérer par lui-même le problème et empêcher la saisie.
Du Pas de Calais à la Corse
Le major Alan a ainsi débuté dans la Marine en tant que matelot à la suite de son service militaire. Parmi une trentaine d’autres engagés de tous horizons, des tous nouveaux incorporés en sortie de formation initiale jusqu’aux officiers mariniers et quartier-maître en réorientation. Aujourd’hui ce cursus de formation a deux niveaux d’entrée, soit en entrant comme matelot, en faisant le brevet équipage et en étant déployé par la suite comme opérateur avant de faire la sélection ou en passant par Maistrance.
Après 8 affectations du Pas de Calais à la Corse en passant par le Sud-Ouest, le major est revenu en Bretagne, sa terre natale, en tant que chef de cours de la spécialité. « Je ne peux pas dire qu’il y a parmi toutes ces affectations, une que j’aurais préférée car elles étaient toutes différentes. Dans chacune d’entre elles j’ai trouvé quelque chose d’intéressant, un aspect du travail différent mais enrichissant ».
Gérer le stress
Ce qui aujourd’hui diffère dans la formation et qui manquait à l’époque est la gestion du stress : « On a intégré une intervention dans le cursus BAT, une journée de formation sur la gestion du stress. C’est d’ailleurs assez spécifique pour les guetteurs car les formateurs se servent de bandes sons d’opérations réelles pour travailler sur la gestion du stress dans de telles situations ». Le major se souvient d’une de ses opérations qui l’a marqué au cours de sa carrière. « C’était en hiver. C’était peu de temps avant les fêtes de fin d’année. J’étais adjoint en opérations. On était à la recherche d’une goélette, perdue en mer. Le propriétaire faisait convoyer son bateau du Nord Espagne jusqu’à La Rochelle et le bateau n’arrivant pas, il a fait part de son inquiétude. On l’a cherché pendant des jours et des jours, diffusant des messages sur toutes les zones possibles. La veille de Noël, il n’y avait toujours aucun signe de lui. Alors que les jours se succédaient réduisant les chances qu’on puisse retrouver deux personnes perdues en mer, on continuait sans vraiment y croire. Mais le lendemain, un navire de commerce nous a alerté. Le radeau de sauvetage avait été retrouvé. Ça fait réfléchir différemment et c’est dans ce genre de situation qu’on réalise à quel point la cohésion entre tous les marins est réelle. Parfois, on fait face à des situations encore plus dures, il m’est arrivé une fois d’être resté une heure au téléphone avec une femme dont le mari avait fait une crise cardiaque. Je suis resté avec elle, en attendant les secours, alors qu’elle lui prodiguait un massage cardiaque ».
Un métier pas comme les autres
Être guetteur sémaphorique est un métier pas comme les autres. « On a tout de suite des responsabilités importantes qu’on soit jeune matelot ou officier marinier ». Il faut analyser toutes les situations qu’on rencontre, « est-ce que c’est normal ? Quand une situation vous semble étrange, même si elle peut paraître anodine, il faut vraiment faire un effort de recherche et s’y intéresser ».
C’est un quotidien différent que ce dont on a l’habitude en unité. Les guetteurs tournent par quart. « Chacun fait quatre heures de quart passerelle. On s’occupe de l’entretien des postes, de la cuisine… On était trois par jour, ce qui permet de créer des liens assez rapidement. « La période COVID m’a particulièrement marqué. Sur l’eau, il se passe toujours quelque chose peu importe la saison, mais là, c’était calme plat. Il y avait des périodes où il n’y avait plus aucun bateau. Étant donné que les sémaphores sont souvent situés sur des sites assez touristiques, au bord de l’eau sur des points de vue remarquable, voir ces endroits déserts était impressionnant. On commençait à voir des animaux sauvages revenir ».
Tous les trois ans il fallait changer de sémaphore. On peut choisir de faire bouger toute la famille ou pas. C’est le choix qu’a fait le major alors qu’il était affecté en Corse. Il faut s’organiser différemment, mais la semaine de repos qui succède toujours la semaine de service est un énorme avantage, laissant le temps aux marins de rejoindre leurs familles respectives.
Envie de transmettre
Se rendant compte des compétences qu’il avait acquises lors de sa carrière, l’envie de transmettre et d’aider les autres à progresser à son tour est devenue évidente pour lui. A ces jeunes qui arrivent dans la Marine et qui se demandent ce qu’est le métier de guetteur, je leur dis qu’on a beau entendre que la curiosité est un vilain défaut, ce n’est pas le cas chez nous ! Soyez curieux, cherchez à vous intéresser à ce qui se passe autour de vous. Vous ferez face rapidement à des situations où il vous faudra faire preuve d’autonomie. Faites preuve d’empathie tout en essayant de prendre un peu de hauteur pour garder la tête froide. Et sachez gérer les priorités. Il y aura des moments où il vous faudra laisser tomber toutes vos tâches à l’instant pour aller sauver des vies ».